Vincent parle de ses œuvres

CAFE DE LA GARE


Je vais commencer l’intérieur du café où je loge, le soir au gaz.
C’est ce qu’on appelle ici un « café de nuit ». Les « rôdeurs de nuit peuvent y trouver un asile quand ils n’ont pas de quoi se payer un logement ou qu’ils sont trop soûls pour y être admis.

Je viens de terminer une toile qui représente un intérieur de café de nuit éclairé par des lampes. Quelques pauvres rôdeurs dorment dans un coin. La salle est peinte en rouge et là-dedans sous le gaz le billard vert qui projette une immense ombre sur le plancher.
Dans cette toile il y a six ou sept rouges différents depuis le rouge sang jusqu’au rose tendre faisant opposition à autant de verts pâles ou foncés. (518 aout)


A la grande joie du logeur, du facteur de poste que j’ai déjà peint, des visiteurs-rôdeurs de nuit et de moi-même, trois nuits durant j’ai veillé à peindre, en me couchant pendant la journée. Souvent il me semble que la nuit est bien plus vivante et richement colorée que le jour.

... Maintenant pour ce qui est de rattraper l’argent payé au logeur par ma peinture, je n’insiste pas, car le tableau est un des plus laids que j’aie faits. Il est équivalent, quoique différent aux « Mangeurs de pommes de terre ». J’ai cherché à exprimer avec le rouge et le vert les terribles passions humaines.
La salle est rouge sang et jaune sourd, un billard vert au milieu, quatre lampes jaune citron à rayonnement orangé et vert. C’est partout un combat et une antithèse des verts et des rouges les plus différents, dans des personnages de voyous dormeurs petits, dans la salle vide et triste, du violet et du bleu. Le rouge sang et le vert jaune du billard exemple contrastent avec le petit vert tendre Louis XV du comptoir, où il y a un bouquet rose. Les vêtements blancs du patron, veillant dans un coin de cette fournaise, deviennent jaune citron, vert pâle et lumineux. J’en fait un dessin tout à l’aquarelle pour te l’envoyer demain, te donner une idée.

Dans mon café de nuit, j’ai cherché à exprimer que la café est un endroit où se ruiner, devenir fou, commettre des crimes. J’ai cherché par des contrastes de rose tendre et de rouge sang et lie de vin, de doux vert Louis XV et Véronèse, contrastant avec les verts jaunes et les verts bleus durs, tout cela dans une atmosphère de fournaise infernale, de soufre pâle, exprimer comme la puissance des ténèbres d’un assomoir.
Et toutefois, sous une apparence de gaieté japonaise et la bonhomie de Tartarin.(533 8 septembre)